Le jugement sévère des Français sur la jeunesse
Compte rendu | | 23.11.11 | 13h31 • Mis à jour le 23.11.11 | 14h52
Selon un sondage Ipsos réalisé pour "Le Monde", les jeunes sont perçus comme égoïstes, paresseux et intolérants.REUTERS/VINCENT KESSLER
La fracture entre les générations serait-elle en train de se creuser ? Un sondage réalisé par Ipsos-Logica Business Consulting à l'occasion du premier colloque sur "les enjeux de l'élection présidentielle", organisé, jeudi 24 novembre, par Le Monde à Bordeaux, montre que l'opinion publique française porte un regard compatissant mais critique sur la situation de la jeunesse en France.
Réalisée par téléphone auprès d'un échantillon représentatif de 1 014 personnes, les 18 et 19 novembre, l'enquête, réalisée en partenariat avec France Inter, dresse le portrait d'une société qui peine à comprendre sa jeunesse.
Une conscience aiguë des difficultés de la jeunesse. Les personnes interrogées n'ont pas de doute sur la situation pénible des jeunes Français dans un contexte de crise économique et sociale durable, marqué par un taux de chômage supérieur à 20 %. "Sans surprise, un consensus se dégage sur l'idée que les jeunes d'aujourd'hui sont confrontés à de grandes difficultés et que leur situation est plus difficile qu'auparavant", souligne Christelle Craplet, directrice d'études à Ipsos.
Ainsi, 81 % des personnes interrogées estiment qu'il est "difficile d'être un jeune aujourd'hui en France" ; 71 % pensent que leur situation s'est détériorée par rapport aux générations précédentes . Une dégradation particulièrement ressentie en matière d'emploi (plus difficile qu'avant pour 92 % des sondés), de logement (89 %) ou de pouvoir d'achat (84 %) - domaines pour lesquels la solidarité familiale ne compense que partiellement la difficulté à s'insérer professionnellement. Les seuls points d'amélioration perçus concernent des thèmes plus secondaires, notamment les loisirs ou les relations amoureuses.
Un discours critique sur le comportement des jeunes. A la question "Avez-vous le sentiment que les jeunes d'aujourd'hui sont différents de ce que vous étiez vous-même au même âge ?", 83 % répondent "plutôt différents" ou "très différents". Un résultat sans surprise. Mais cette perception s'accompagne de jugements sévères sur cette jeunesse "différente". Dans l'ensemble, les jeunes sont jugés égoïstes (63 %), paresseux (53 %) et intolérants (53 %). Des qualificatifs confirmés par les moins de 30 ans, lesquels se jugent eux-mêmes égoïstes (70 %), paresseux (65 %) et intolérants (51 %) - ce qui témoigne d'une image dégradée, y compris au sein de la jeunesse elle-même.
Signe d'une société vieillissante ? Les plus anciens témoignent de leur incompréhension face à une jeunesse dont les codes, les habitudes, les modes de vie ne sont pas compris. Le signe aussi d'une société qui craint sa jeunesse et sa capacité à bousculer l'ordre : les jeunes ne sont pas perçus comme disciplinés mais jugés révoltés, selon une large majorité de sondés (70 %) - alors même que, contrairement aux "indignés" espagnols ou aux manifestations en Grèce, aucun mouvement important de jeunes n'a eu lieu en France depuis les dernières grandes mobilisations lycéennes en 2008 ou 2006.
La jeunesse, thème porteur pour l'élection présidentielle ? A l'inverse de Nicolas Sarkozy - qui a choisi de cajoler les retraités en leur permettant d'échapper à une partie des plans de rigueur budgétaire -, François Hollande a fait de la jeunesse un thème central de sa campagne à travers ses promesses sur les contrats de génération et l'embauche massive d'enseignants. Ce qu'il devrait rappeler, jeudi 24 novembre, en prononçant un discours sur la jeunesse devant les participants au colloque de Bordeaux. Ce choix est clairement porté à son crédit : 42 % des sondés estiment qu'il est le candidat qui défend le mieux les intérêts de la jeunesse, loin devant Nicolas Sarkozy (26 %) et un surprenant François Bayrou (20 %), qui dépasse Marine Le Pen (14 %).
Mais les attentes en matière de politique paraissent limitées. D'abord parce que, dans leur ensemble, les Français interrogés considèrent que les politiques publiques sont relativement équilibrées - même si les personnes âgées semblent légèrement privilégiées. Ensuite, parce que, s'ils sont favorables à des actions pour l'emploi ou l'éducation, leur volontarisme s'arrête dès lors qu'est évoquée une hausse de la fiscalité : une majorité (59 %) refuse d'augmenter "significativement" leurs impôts pour financer une politique plus ambitieuse pour la jeunesse.
Luc Bronner
Article paru dans l'édition du 24.11.11